Bonjour,
Entre deux sangliers rôtis et quelques chopes de bière de Blackrock, chaudement installée sur un banc grotesque et abîmé de l'auberge de la Zone 52, je profite d'un petit moment de répit dans la longue et surtout lente litanie de paroles de mon interlocuteur -le très connu et hélas très bavard Thalodien- pour me remémorer ma vie, ou plutôt ma survie, et vous en faire profiter bien entendu cher lecteur.
Ce n'est pas dans mes habitudes de me dévoiler ainsi, même s'il m'arrive de confier certains de mes tracas quotidiens à certains membres de ma glorieuse guilde.
Tandis que Thalodien entame la description ô combien épique de ma mission à la Manaforge B'naar, et de tout ce qu'un échec -de toute façon impensable- impliquerait, je me laisse aller à scruter son visage dont la beauté magique propre aux Elfes de Sang s'assombrit parfois de dédain et d'aversion devant mon apparence physique.
Même si tout sentiment humain est censé m'avoir déserté à tout jamais, il serait faux de ma part de nier que j'éprouve quelques vagues émotions, qui ne dirigent pas ma vie, mais qui l'orientent et que je peux également manipuler à souhait, contrairement à ces imbéciles de Stormwind esclaves de leur folie.
Il est clair que l'Elfe lui-même refoule au maximum ses sentiments à mon égard, mettant en avant l'intérêt commun de la Horde avant son malaise... La chose m'a toujours amusée! être traitée d'égal à égal par un vivant et ailleurs que sur un champ de bataille, la Horde est décidément puissante et nos chefs soudés. Même notre projet de créer une nouvelle peste n'est plus à l'ordre du jour, notre Reine y a veillé en personne, Thrall et Cairn ont salué cette décision qui a eu pour effet de ressouder nos rangs face à l'enemi.
Thalodien Lêve soudain un sourcil tout en s'interrompant:
-"il semble que je vous ennuie, voleuse" tout en me foudroyant du regard, un regard troublé et animé de mana verte.
La remarque m'a destablilisée, le ton et la désinvolture de l'Elfe font ressurgir de profonds souvenirs d'une lointaine contrée, et je m'abîme sans résister dans cet océan de rêves et de cauchemards...
-"IL SEMBLE QUE JE VOUS ENNUIE WINNIE!" la voix puissante de mon oncle me sort brusquement de ma torpeur, je cligne difficilement des yeux tant le soleil de Brill me brûle, tandis qu'une brise marine fait onduler et bruisser l'arbre séculaire sous lequel je m'était endormie.
Encore une journée de plus à apprendre les rudiments de l'herborisme, alors que toutes mes amies se parent et s'apprêtent en vue de la fête annuelle de Terenas Menethil, notre bien-aimé roi me dis-je, mon oncle en profite alors pour me poser des centaines de questions sur la feuillerêve et ses vertus, puis ébauche un semblant d'explication quand à sa rareté soudaine:
-"C'est la faute de ces foutus paysans de Stratholme, si seulement ces abrutis du Kirin Tor s'étaient abstenus de leur fournir cet herbicide!" maugréant et maudissant les mages, le vieil homme marmonne ensuite des paroles inintelligibles puis s'éloigne vers notre maison, au bout du champ des pierres et à quelques centaines de mètres du village.
Je m'étire lentement et l'écorce râpeuse du Pin argenté me rapelle son bon souvenir lorsque mon dos l'effleure par mégarde. Je me relève en grimaçant. Soudain un mouvement furtif attire mon regard "la nuit va tomber" cette pensée réflexe me traverse l'esprit alors qu'une ombre menaçante vaguement canine s'éloigne dans les fourrés.
La maison de mon oncle a toujours suscité des jalousies plus ou moins justifiées de la part de nos voisins, ce qui m'a toujours laissée dubitative.
Certes mon oncle n'avait pas lésiné sur les moyens, mais il n'avait pas fait appel à la conférie des maçons, seulement à quelques compagnons et à ses propres bras pour édifier en 3 semaines ce qu'il a coutume d'appeler "son château", et qui n'a bien de château que le nom.
N'étant pas très doués dans la famille pour les arts culinaires, madame Sheeward, une de nos voisines, se charge donc -contre rémunération- de nous faire nos repas.
La soirée s'annonce animée, le conseil municipal a dépêché un émissaire afin d'officiellement rappeler à l'ordre mon oncle, qui selon eux "se fourvoie dans des questions de politique intérieure et royale". Il est vrai que la dent qu'à mon oncle envers stratholme -tout du moins ce qu'il en reste après la peste- ne fait rien pour arranger les choses. Je m'éclipse discrètement afin d'échapper à une énième prise de bec entre mon oncle et les officiels, lorsqu'une exclamation me fait dresser l'oreille: -"...Votre fille! il est très inconvenable de la laisser errer ainsi habillée tel un jeune homme, elle a dores et déjà un prétendant et est en âge de se marier! quand donc cesserez-vous de l'instruire de vos... talents ?" la réponse cinglante de mon oncle ne se fait pas attendre: -"foutez-moi le camp! vous êtes ici chez moi, dans ma demeure! n'imaginez pas une seconde m'apprendre à mener ma famille! dehors sombre laquais! vil murloc!" La dernère imprécation me fait pouffer de rire, alors que déjà le sommeil se fait sentir.
Des cloches... des cris de joie...une sourde rumeur qui s'amplifie... est-ce déjà la fête? j'émerge à peine de ma nuit réparatrice quand on tambourine violemment à la porte. Titubante et les yeux mis-clos, j'ai à peine le temps d'ouvrir que le visage de Lauryn m'explose de joie à la figure.
Lauryn est une des plus belles filles de Brill, peut-être même de toute la région, ses cheveux d'or et ses yeux d'un bleu glacé, son visage fin -aussi fin que celui d'une elfe- exprime tout ce que la race humaine peut réaliser de mieux, le summum de la féminité incarnée.
Lauryn Hearthmoon, mon exacte antithèse, mon contraire en toutes choses (sauf en beauté, c'est l'avis de mon oncle), et pourtant ma meilleure amie.
Hagarde, j'essaie de comprendre quelque chose dans le flot de paroles ininterrompues de mon amie, et le nom maintes fois répété d'Arthas me fait réaliser soudain que le Prince est revenu.
-"Il est de retour! ô Winnie si tu avais vu ce port altier, cette beauté mâle et fougueuse, son armure doublée de fourrure semblait animée d'une volonté propre! Il est si sérieux, si sombre, si ténébreux! Ses exploits mais aussi ses épreuves ont dû être si héroïques! il me tarde tant de retourner l'admirer...
Je laisse Lauryn se pâmer en louanges tandis que je me prépare à sortir, lorsque je remarque quelque chose d'inhabituel dans le comportement de nos animaux -quelques poules et un veau- qui semblent étrangement amorphes le temps ne sera pas au beau pensais-je tout en accompagnant mon amie vers Lordaeron.
Nous traversâmes Brill en toute hâte, dépassant l'hôtel de ville et la place du village en pleine ébullition, tentant de nous frayer un chemin dans la foule compacte, je surprends d'ailleurs quelques tire-laines et autres larrons qui profitent de l'occasion: un coup de pied bien placé vient calmer les ardeurs d'un coquin un peu trop entreprenant.
C'est alors que les troupes du Prince m'apparurent, une masse compacte et uniforme de soldats malingres et étrangement maigres, tous cagoulés sans exception, alignés comme à la parade, tête baissée.
Les quelques habitants qui tentaient de s'approcher étaient repoussés sans ménagement, certains villageois cherchaient un fils, un mari, un neveu, et déjà des clameurs de tristesse s'élevaient devant les rangs clairsemés, les pertes ont été effroyables me dis-je.
Le ciel s'est obscurci, laissant passer un ridicule rayon de soleil blafard sur le cavalier de tête, le Prince Arthas Menethil, fervent adepte de la Main d'argent.
Son imposant destrier, entièrement carapaçonné semblait littéralement fumer, et des volutes de vapeur s'élevaient lentement de ses naseaux, telle une créature fantastique.
Le Prince engoncé dans son armure grise et noire, la main sur une énorme épée posée à même sa selle dégageait effectivement une étrange aura, sombre et puissante à la fois.
Lauryn n'avait pas menti, la crainte et le respect m'envahirent, de même qu'un étrange malaise.
Une odeur, une simple effluve qui me fait penser immédiatement à notre cimetierre, douceâtre et forte à la fois, une odeur de mort.
C'est alors qu'un ordre puissant me sort de mes pensées: Arthas a levé son épée, et l'un des cavaliers a relayé son ordre, largement couvert par les cris de joie de la foule en liesse.
Lasse de ce spectacle, je décide de rebrousser chemin.
Le malaise ne se dissipe pas, bien au contraire, et cette odeur de corruption s'entête tandis que je franchis la bordure de Brill... Cette odeur, la même odeur que la fois ou j'ai laissé un reste de viande au soleil. Je chemine ainsi jusqu'à la cabane de Hank le fossoyeur, devant le cimetierre de Brill. L'endroit est véritablement désert, toute âme qui vive s'est empressée à Lordaeron, toute âme qui vive ou presque, la silhouette familière du fossoyeur se détache sur le chemin.
Quelque chose ne va pas, Hank n'a pas l'air dans son assiette, et tandis que je m'approche, mon coeur se serre à la vue du sang qui inonde sa poitrine.
-"Hank? ça va? Hank! qu'est-ce qu..." ma respiration se bloque et je m'immobilise de stupeur, Hank est pâle, trop pâle et ses yeux semblent briller étrangement...
Un gargouillis ignoble me réponds, et Hank lève lentement ses bras et un vestige de machoîre inférieure se détache lorsqu'il se mets à hurler, non pas de peur, de rage ou de crainte, mais de faim.
Dégainant la petite dague qui ne me quitte jamais, surmontant mon horreur, je tente d'esquiver le visage sanguinolent qui se précipite vers mon cou, pas assez prestement, les dents du mort vivant se plantent dans mon épaule. Grimaçant sous le coup de la douleur intense, j'assène de rapides coups de lames vers ce visage, ces yeux maléfiques qui me répugnent et ce qui reste de Hank fini par s'effondrer dans un bruit mouillé de chair écrasée.
Tremblante sous le coup de l'émotion, de l'horreur mais aussi -chose nouvelle- de l'adrénaline, j'essuie rapidement ma dague du sang et des débris coagulés.
Hank.... Je ne peux retenir le hoquet et la soudaine nausée qui m'envahit et mon estomac se laisse aller.
La clameur qui monte de Brill et de Lordaeron me glace d'effroi, je commence enfin à faire le lien entre le retour du fils du Roi et ce qui vient -non ce qui est en train de se passer- alors que du cimetierre m'arrive des bruits cauchemardesques, frottements, chuintements, râles...Les morts reviennent, les cadavres de quatre générations de villageois, hommes, femmes et enfants, les tombes s'ouvrent et le sol meuble se déchire sous les doigts squelettiques avides.
Fuir! fuir à tout prix!, de toute ma force je me précipite vers ma maison, vers mon oncle, vers un salut improbable, alors qu'aux alentours des villageois étrangements vêtus sortent de chez eux en psalmodiant incantations et paroles inintelligibles, et qu'au loin la clameur s'est transformée en un immense et unique cri d'horreur et d'effroi.
Mon oncle est assis près de l'âtre, un bâton ferré sur les genoux et un grimoire ouvert à la main, il est livide.
Son regard me suffit. Il sait. Je cours à ma chambre chercher quelques affaires et récupère au passage la longue dague de mon défunt père.
La porte s'ouvre avec fracas, c'est Lauryn, une Lauryn morte de peur, couverte de boue et de sang. Le cri qu'elle pousse fini d'ôter tous nos espoirs: -"LE ROI EST MORT".
-"Le roi est mort et... son propre fils le prince oh mon Dieu... les morts les morts! LES MORTS MARCHENT".
Brusquement elle émet un râle d'agonie, un râle qui me hantera jusqu'à la vie de ma non-vie.
Mon père, mon propre père est debout dans l'embrasure de la porte, un pieu ensanglanté à ce qui lui reste de main, planté dans le dos de Lauryn. Avec un grognement bref, il projette le cadavre celle qui fut mon amie à travers la pièce.
L'hystérie me gagne, mon père en décomposition se tient devant moi, l'horreur de la situation a raison du peu de sang froid qu'il me restait, la tête me tourne, puis tout est noir.
Ungh' lyeth no arathor! Sho ni lokolar suivi d'un bruit d'explosion et de crépitement de chair, je retrouve mes esprits après ce qui me semble être une éternité. Dehors, mon oncle achève une formule magique et réduit à l'état de cendre un cadavre qui l'espace d'une seconde me semble être Madame Sheeward.
Tout en m'appuyant maladroitement sur la dague de mon père, je rampe vers l'entrée.
-"Tu dois partir, s'en est fini de ce royaume, de cette ère, de cette vie".
-"mais..."
-"Obéis !". la voix autoritaire mais étrangement calme de mon oncle résonne douloureusement dans mon crâne endolori.
-"et vous ? je ne vous laisse pas, pas ici, pas avec ces choses"
A nouveau, son regard suffit à me résigner.
Malheureusement cher lecteur, le sort a voulu qu'au moment même de mon départ, Arthas le maudit et ses sbires croisèrent mon chemin, ainsi que celui de mon oncle, écrasant toute vie et toute traces de nos existences, mon oncle dévoré par les goules infâmes et moi-même soumise au bon vouloir du Prince, ou plutôt de Frostmourne.
C'est ainsi que réduite à l'état de cadavre, jetée dans la fosse commune du Glas, mon âme tourmentée prisonnière de Frostmourne, je n'ai du mon salut qu'à l'intervention de notre bien aimée Reine, et ma délivrance des chaines du fléau.
Pour cela je lui suis à jamais redevable, Sylvanas Windrunner, celle qui a su comment échapper à la domination du Roi liche, celle qui nous a rendu notre liberté à tous.
POUR LES REPROUVES, POUR LA DAME NOIRE !
edit: la fin sera modifiée en temps voulu, voir même un petit plus sur la période undead fleau de winnie ^^
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